Humeur d’un vieux mûrier en juin
Le joli mois de mai est passé
Voici qu’en juin j’étale mon ombre
Pour le confort de mes invités
Une ombre charnue et profonde.
En juin je prends la mesure
De mon efficace utilité
Je joue de mon envergure
Je m’épanouis, je suis gai.
Je règne sur un empire vert
Obscur sous mes bras feuillus
Je crée une subtile atmosphère
Accueillant de chers inconnus.
Le Mas Redortier s’est éveillé
Recevant nombre de visiteurs
Offrant son hospitalité
Avec bienveillance et lenteur.
Je me réjouis pour ces gens
Qui cherchent au sein de la nature
La connexion, l’espace ou le temps
Pour une voie possible de futur.
Mes chers humains je suis inquiet
Je sens des choses qui se passent
Je vois des troubles arriver
Prochainement qui me dépassent.
Le lourd pillage continu
Loin de ralentir s’accélère
Dépouillant de manière éperdue
Une grande surface de la Terre.
Comment de façon si ordonnée
Si consciente et méticuleuse
L’homme peut-il orchestrer
Sa perte et sa fin douloureuse ?
Non seulement l’homme est efficient
Pour organiser sa déchéance
Mais il s’en réjouit sciemment
Applaudissant ses points de croissance.
La sobriété, l’humilité
La responsabilité
Autant de mots que l’humanité
Ne sait pas utiliser.
Pour beaucoup, le suicide collectif
Vaut mieux que la perte d’intérêt
Le système restera actif
Jusqu’à ce qu’il ait tout broyé.
Voilà ce que je sens,
L’activité humaine est toxique
Elle accélère le mouvement
Et vers un mur nous précipite.
Et pourtant, moi le vieux mûrier
Quand je vois le soir qui descend
Quand se glisse dans ma ramée
Le précieux murmure du vent
Quand je contemple l’harmonie
De la construction humaine
Dans les collines ou les prairies
Dans les montagnes ou les plaines
Je veux croire encore à un monde
Qui ne s’effondrera pas
Où le courage sorti de l’ombre
Renversera le capital.
Quand la conversation se fait
Entre nous, le pin, l’olivier
Le figuier et quelques cyprès
Nous évoquons ce lourd sujet.
Les bruits courent par nos racines
Certains cousins très éloignés
Rapportent des faits alarmistes
De chaleurs bien trop élevées,
Et les habitants par millions
Se transformeront en migrants
Provoquant dans d’autres régions
Guerre, chaos et soulèvements…
Et pourtant la brise du soir
N’en finit pas de me conter
Les plus merveilleuses histoires
Qu’elle a cueillies dans les forêts
J’accueille ses tièdes caresses
Sa mélodie dans mes rameaux
Pris d’une immense tendresse
J’ondule et vibre de bas en haut
Et je m’assoupis, paisible
Méditant le temps arrêté
Le corps lourd encore sensible
Rêvant à l’éternité…
